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Patrimoine et internet



   Créer et développer un site internet sur le patrimoine d'un territoire regroupant dix-neuf communes est à coup sûr une entreprise ambitieuse sinon hasardeuse. Elle requiert évidemment la collaboration d'un grand nombre de bonnes volontés.
Mais pas seulement.
En effet, l'objet même de ce projet est sujet à controverses. Le patrimoine, certes, chacun est d'accord pour le préserver et l'entretenir. Au moment de choisir quels éléments lui appartiennent, de nombreuses interrogations apparaissent. Il est nécessaire de s'entendre et de faire un choix. Donc de recourir à des critères de sélection concernant la notion même de patrimoine.

L'origine latine du mot, patrimonium - les biens hérités du père - donne déjà une première indication. Font partie du patrimoine de la région les éléments liés à son histoire : les dolmens et les châteaux, les petites chapelles des pardons et les maisons médiévales, les fours à goémon, les phares et les postes de guet des gardes-côte. Toutefois, le nombre de types différents est tel qu'il est nécessaire de faire un choix supplémentaire : va-t-on considérer les blockhaus allemands comme des éléments de notre patrimoine ? Ils ont été édifiés par des étrangers, mais ils sont sur notre territoire. Ils sont trop récents ? Mais la notion de temps est très relative. Leur appartenance à un ancien ennemi suscite encore l'antipahie ? Mais aucun canon ne les arme plus et ils sont plutôt un objet de curiosité. Ils ne sont pas beaux, diront certains. Ce sont des verrues de béton sur nos côtes. La preuve ? A Toulbroc'h, les casemates des blockhaus ont toutes été taguées parce qu'elles étaient laides.
Mais bientôt, qui sait, ce sont peut-être précisément ces tags parfois superbes qui vont les faire entrer dans notre patrimoine...


Les tags de Toulbroc'h à Locmaria-Plouzané

  On aborde donc là une autre notion, particulièrement difficile à cerner, l'esthétique. Dès son inauguration en 2011, le pont de Térénez, par exemple, est entré dans notre patrimoine national au même titre que le viaduc du Viaur ou celui de Garabit. Sa beauté architecturale semble reconnue par tous, plus encore que la prouesse représentée par sa construction. Le beau l'emporterait donc sans contestation sur l'ancien et le remarquable. Mais un moulin à vent est-il plus beau qu'une éolienne ? Un menhir qu'un château d'eau ?

  Est-ce une question de taille, de dimensions ? Il existe bel et bien un petit patrimoine . Au Conquet, par exemple, le long d'une vingtaine de mètres de la rue Clemenceau, le promeneur attentif discernera trois éléments discrets du petit patrimoine de la vie quotidienne d'antan : dans le mur d'une maison un anneau qui servait autrefois à attacher les chevaux, auprès d'un seuil un gratte-pied sur lequel on râclait les semelles boueuses de ses sabots avant de pénétrer chez soi, et plus loin un soupirail par lequel le charbonnier déversait les sacs de sa charrette à cheval afin de remplir le tas de charbon situé dans la cave.


L'unique gratte-pied du Conquet.
Cet accessoire des entrées d'habitations, encore très courant il y a un siècle,
est devenu rarissime depuis que les rues, pavées ou goudronnées, ne sont plus boueuses.
Mais il est si discret qu'on se demande qui y prête la moindre attention aujourd'hui.
C'est pourtant un témoin de la vie quotidienne de nos aïeux.

  Ailleurs ce sont une roue à aubes ou une meule de moulin, un cadran solaire, un rouet ou encore le paroir d'un sabotier... En fait tout dépend sans doute du promeneur lui-même, de son attention, de sa sensibilité, de sa culture et aussi de son imagination.
  Le Musée de Bretagne, à Rennes, présente une petite monnaie grecque en or découverte fortuitement parmi des algues en 1959 à Lampaul-Ploudalmézeau et attribuée à l'expédition de Pythéas ( vers 320 av. J.C. ). Ne fait-elle pas ipso facto partie de notre patrimoine1 ?



Le statère d'or trouvé à Lampaul-Ploudalmézeau
et exposé au Musée de Bretagne, à Rennes
Photo : Musée de Préhistoire de Penmarc'h ( Finistère )


  " Le patrimoine n'est pas une réalité matérielle, mais un regard porté sur certaines réalités, matérielles ou non ", disent Alain Croix et Jean-Yves Veillard dans la préface de leur Dictionnaire du patrimoine breton2.  Et ils ajoutent : un ensemble de vieilles pierres n'est pas, par nature, du patrimoine. Comment comprendre, sinon, qu'il ait pu longtemps n'attirer qu'indifférence, et que beaucoup d'autres aient disparu ? Ces vieilles pierres deviennent patrimoine parce qu'un jour un regard nouveau s'est porté sur elles, leur a donné un sens, une utilité au moins morale ou culturelle."

Après l'énorme incendie qui a frappé en 2019 la cathédrale Notre-Dame de Paris, puis ses répercussions dans le monde entier, on peut affirmer que la notion de patrimoine est tout simplement liée à la société et à l'importance que celle-ci accorde aux éléments naturels et culturels qui l'environnent. Elle varie constamment selon les lieux et les époques. Elle disparaît même complètement face à d'autres priorités comme on en voit souvent en temps de guerre ou d'intolérance religieuse. Souvenons-nous par exemple du pilonnage de la cathédrale de Reims par l'artillerie allemande lors de la Première Guerre mondiale ou des destructions de statues et de temples millénaires, il y a peu de temps encore, en Asie mineure. Et plus près de nous, le chevet de l'église abbatiale de la pointe St-Mathieu a bien été détruit afin de faire place à un phare inauguré en 1835.

 Un sens, une utilité, voilà sans doute le sésame pour sélectionner des éléments du patrimoine.

 Il y entre donc aussi des réalités immatérielles comme les usages, les traditions et les expressions linguistiques. "Réduire le patrimoine à la pierre et à l'œuvre d'art implique un apprentissage savant, pas même accessible dans le cadre scolaire dans la plupart des cas; à l'inverse, le paysage, la danse, la musique, la langue, le vêtement sont - même inégalement, même plus ou moins richement - accessibles à tous et donnent à chacun, à la plus modeste des communautés, la plus pauvre des communes, une existence patrimoniale." précisent les deux auteurs déjà cités.

Le champ de la notion de patrimoine devient immense...

 Pour le public en général, mais particulièrement pour les touristes ou les scolaires qui cherchent à découvrir une région, avoir accès à un site internet concernant son patrimoine peut donc se révéler fort utile. Cependant, pour les concepteurs du site, les choses se compliquent encore.
    En effet, à la difficulté d'opérer les choix précédents s'ajoutent des cas de conscience. L'accès à certains éléments du patrimoine peut par exemple se révéler plus ou moins dangereux pour le visiteur et parfois même pour la conservation du monument. Il faut apprécier cette dangerosité et, soit en faire état dans le texte correspondant, soit se résigner à ne pas indiquer l'élément en question. D'autres sont situés hors de vue du public, à l'intérieur de propriétés privées. Et si quelques propriétaires ne s'opposeraient pas à des demandes de visites, il en est encore qui en seraient agacés et pourraient même dans certains cas être amenés à faire disparaître le patrimoine concerné. Le désir de le protéger aboutirait alors à l'effet inverse. On a le cas, à Porspoder, d'un agriculteur ayant détruit dans son champ vers 1930 un mégalithe pourtant classé monument historique. De nouveaux choix sont donc nécessaires et chacun doit être bien conscient des limites qu'impose cette exigence.

Enfin, réaliser un tel site nécessite non seulement de se rendre sur place pour faire des photos de chaque élément décrit, mais surtout de collationner toute une documentation. Le Pays d'Iroise n'est pas une terre nouvelle. Une quantité de chercheurs, d'archéologues, d'historiens locaux et aussi d'artistes ont défriché cette région pendant des décennies et réalisé des publications3 ou des œuvres d'art. D'autres, sans jamais rien publier, ont amassé des documents, articles et cartes postales, dont la connaissance est précieuse. Il faut leur rendre hommage et toujours citer leur travail, non seulement par simple honnêteté, mais surtout par reconnaissance pour un labeur discret et ignoré qui, très souvent, est le fruit de toute une vie. Pour la même raison, lorsqu'un site internet décrit déjà avec suffisamment de détails un élément du patrimoine, il serait inutile d'en réaliser un doublon. Un lien vers ce site suffit et respecte le travail déjà accompli.

   Mais qu'apporte internet ? Il y a des publications, des guides touristiques, des points d'information et des Offices de tourisme dans la plupart des communes. Un site sur le web, virtuel évidemment, est-il indispensable ?
Indispensable, peut-être pas vraiment. On peut toujours se passer d'une évolution technique. Intéressant cependant, et pour plusieurs raisons :
- Un site internet est facile à concevoir à plusieurs. Chaque contributeur fournit textes et photos, le webmestre n'a plus qu'à les mettre en ligne. On peut les traduire en plusieurs langues.
- Les pages restent toujours modifiables : les erreurs peuvent être corrigées à tout moment, des photos peuvent être ajoutées, les plans d'accès changés si besoin est. Par rapport à une publication sur papier, c'est un avantage considérable car un site bien suivi s'adapte et évolue sans cesse. Il ne reste pas figé.
- Le public y a accès facilement. Les ordinateurs, les mobiles, tablettes ou smartphones permettent aujourd'hui d'obtenir une information très rapidement et internet est pratiquement partout, dans toutes les familles. L'accès en est possible depuis le monde entier.
- On peut utiliser, pour chaque élément de patrimoine décrit sur un site, la technique du QR-code, ou flashcode (voir son utilisation dans notre rubrique infos).


   

Quelques mots encore à propos de ce site.

    Patrimoine d'Iroise n'est pas tout à fait un site comme les autres: totalement indépendant de tout organisme, c'est un site entièrement fabrication maison, qui ne fait appel à aucun logiciel de confection de sites. Il ne comporte aucune publicité et ne déposera jamais le moindre cookie sur l'appareil d'un internaute.
    Créé en 2014 avec seulement quelques pages décrivant les dolmens et les menhirs du Pays d'Iroise, il s'est diversifié en bénéficiant du travail effectué par plusieurs spécialistes locaux.
    Le serveur qui l'héberge est situé en Allemagne et délivre anonymement chaque mois des statistiques concernant le nombre de connexions ainsi que le pays dont elles proviennent. Selon la saison, il y a mensuellement entre 30000 et 70000 pages du site qui sont consultées. Cependant, plus de la moitié le sont par des robots qui parcourent toutes les pages afin de les référencer. La moitié des connexions proviennent de France et environ le quart des Etats-Unis d'où travaillent la plupart des robots. Le reste provient de Grande Bretagne, d'Allemagne et de tous les autres pays, y compris les plus lointains.

    Voilà pourquoi ce travail participatif se révèle de jour en jour plus utile et plus passionnant.

Yannick Loukianoff





(1) Il s'agit d'un statère en or découvert sur la plage, enserré dans les crampons d'une laminaire échouée parmi la laisse de mer. Cette monnaie avait été frappée à Cyrène, ville de Libye, entre 322 et 315 avant J.C. Contemporaine du voyage de Pythéas, elle n'en consiste évidemment pas une preuve absolue. Mais compte tenu de nos connaissances actuelles sur la navigation dans l'Atlantique à cette époque, la probalilité d'y être correllée est grande.
Voir sur ce site le document du regretté Georges Tanneau, marin-historien du Guilvinec, consacré à "Pythéas, le Massaliote".
Voir aussi sur Persée l'article consacré en 1961 à cette découverte par le Bulletin de la Société préhistorique française.


(2) "Dictionnaire du Patrimoine breton",sous la direction d'Alain Croix et Jean-Yves Veillard, Presses Universitaires de Rennes, 2013.


(3) Citons en particulier "Pays d'Iroise, sites et découvertes", ci-dessous, de Jean LESCOP, édité en 1994 par la CCPI, à une époque où celle-ci ne comprenait que 12 communes. L'auteur, qui parlait breton couramment, a réalisé pendant sa retraite un travail considérable de recherches cadastrales, d'interprétation linguistique, puis de découvertes sur le terrain même. Une passion dévorante, à laquelle il s'est consacré bénévolement, dont le fruit sert toujours de base à la confection des pages de ce site.







Jean LESCOP.
Communauté de Communes du Pays d'Iroise 1994


J-P Babelon et A.Chastel.
Ed.Liana Lévi 1994
Une étude historique limitée au grand patrimoine.





Exemple de QR-code de notre page
sur le menhir de Kerloas