La mer d'Iroise est ce petit morceau de l'océan Atlantique qui baigne la pointe bretonne. Depuis que l'homme navigue, et d'abord à la voile en longeant les côtes, il a redouté cet espace maritime aux courants puissants qui s'inversent avec la marée. Une mer dangereuse, criblée d'écueils, souvent balayée par un vent violent ou couverte d'une brume épaisse. Mais un raccourci important pour joindre la Manche au golfe de Gascogne, un itinéraire stratégique aussi et une région poissonneuse parcourue par de nombreux bateaux de pêche.
Pour sécuriser la navigation, il a fallu d'abord établir des routes maritimes grâce à des repères sur la côte, et signaler par des bouées, des balises ou des tourelles les écueils les plus dangereux. Il a fallu poser des marques diverses, bâbord et tribord pour indiquer des chenaux de navigation, mais d'autres aussi pour repérer la présence de dangers isolés.
Enfin pour pouvoir naviguer de nuit, on a dû construire des phares en bordure du rivage et même au large sur des roches d'accès difficile, battues par des lames pouvant devenir gigantesques.
Et pendant longtemps, de jour comme de nuit, lorsque soudain la brume de mer froide et épaisse envahissait l'océan, la corne de brume du phare était pour le marin le seul repère rassurant au milieu de tous les dangers.
Ce travail extraordinaire de sécurisation s'est principalement déroulé en un seul siècle.
Par-delà le seul Pays d'Iroise, la mer d'Iroise compte aujourd'hui une vingtaine de phares dont 8 sont isolés en pleine mer. C'est la région maritime la plus éclairée au monde !
Mais ce n'est pas tout : il a fallu constamment adapter ces phares aux progrès techniques. L'invention des lentilles à échelons par Augustin Fresnel a permis d'accroître considérablement la portée non seulement des phares d'Iroise, mais celle de tous les phares de la planète.
Panneau extrait de l'exposition réalisée par les Phares et Balises
à l'occasion du bicentenaire de l'équipement du phare de Cordouan
par Augustin Fresnel
Afin d'occulter périodiquement la lumière, on a mis en place un système rotatif ingénieux où tout le dispositif lumineux, posé sur une cuve à mercure pour diminuer les frottements, est entraîné par un poids descendant à l'intérieur de la tour comme celui d'une horloge. Puis l'électricité est venue bousculer toute cette laborieuse machinerie pour aboutir enfin à la télécommande générale des phares d'Iroise depuis Ouessant.
Tout cela, c'est la partie visible de l'iceberg.
La partie invisible, jusqu'à ces dernières années, c'était le gardiennage, le travail quotidien des hommes chargés de la maintenance, de l'entretien, de la surveillance et de la sécurité. Des hommes qui devaient être parfois acheminés, dans des conditions acrobatiques et au péril de leur vie, dans des endroits impossibles pour assurer pendant des semaines avec des rations de matelot un métier de plus en plus technique soumis à un contrôle rigoureux.
Le ravitaillement du phare du Four
© L'Illustration n°2784 du 4 juillet 1896. Coll. Patrick Jaubert
En pleine mer, le transport du matériel puis celui des hommes
s'effectuaient grâce à un cordage tendu entre le phare et l'embarcation.
Ce dangereux dispositif appelé cartahu a coûté la vie à plusieurs gardiens.
Les gardiens, ces guetteurs de l'ombre cachés derrière la lumière étaient les bras et les yeux de toute cette organisation. Ils étaient les premiers à accueillir de loin, par un geste amical, les navigateurs harassés après une longue traversée de l'océan. Les premiers aussi à signaler les avaries ou les naufrages, mais sans pouvoir eux-mêmes intervenir car le règlement leur interdisait de disposer d'une embarcation. Quelles que soient les conditions, rester dans le phare était une priorité absolue.
Leur métier n'a pas totalement disparu puisqu'il faut toujours assurer la maintenance des installations. Les bras sont donc nécessaires. Mais aujourd'hui déserts, les phares sont devenus aveugles. Et ils le resteront sans doute longtemps.
L'histoire de ces grands éléments de notre patrimoine ne doit donc pas oublier qu'ils ont été habités sans aucune interruption pendant presque deux siècles par des hommes qui ont aimé leur difficile métier au service des autres, au point de lui consacrer toute leur vie.
Yannick Loukianoff