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Le colombier de Lanhalla : le Kouldry

( Commune de Plouarzel )








Cet édifice, situé dans une propriété privée, est ouvert au public et fait l'objet d'un fléchage ainsi que d'un panneau d'interprétation installé par la Communauté de communes grâce au concours de l'association Tre Arzh de Plouarzel. Il permet au visiteur de bien comprendre l'importance et l'architecture de ce type de construction de l'Ancien Régime, que l'on voit souvent en ruines et abandonné à la végétation dans de nombreuses communes.


Conception: Com1nom@de et Jézéquel Publicité 2015
On remarque un QR code sur la face vericale de la borne ( flèche ).
Scanné, il permet d'obtenir un commentaire sonore sur un smartphone ou une tablette.


Accès : A partir de Plouarzel, suivre la D28 en direction de Brélès. A 3,5 km du bourg, tourner à droite ( fléchage Lanhalla ). Dépasser le colombier que l'on voit sur la gauche et stationner en bordure du large chemin qui mène, à droite, au rouissoir.

GPS du stationnement : 48°27'28.9 N 4°43'50.8 W


Pigeonnier ou colombier ?

  Si l'on emploie couramment ces deux termes, il faut savoir que le mot colombe ne désigne aucune espèce particulière de pigeon. C'était autrefois un terme vernaculaire et un colombier désignait donc le bâtiment servant à l'élevage des pigeons en général. Puis, au XIXe siècle, le mot colombe, à l'image de l'oiseau biblique, a progressivement été employé pour désigner les pigeons blancs. Un lâcher de colombes ne comporte que des oiseaux blancs. Dès lors, le mot pigeonnier a remplacé celui de colombier devenu trop restrictif. Mais c'est bien le terme de colombier qui était employé au temps de son utilisation. C'est du reste son nom en breton (koulm = colombe).

  Ce colombier, donc, date de la fin du XVIe siècle. Il a été bâti par Tanguy de Langalla, puissant seigneur du manoir voisin, afin de pratiquer l'élevage de pigeons 1. On faisait autrefois une grande consommation de ce volatile et de ses œufs dans les repas des familles nobles et la possession d'un colombier bien en vue constituait en outre pour son propriétaire un signe ostentatoire de richesse. Ce privilège exclusivement réservé à la noblesse, fut aboli le 4 août 1789.



Une architecture très élaborée

   Le colombier de Lanhalla, le « Kouldry », est une solide construction presque cylindrique qui mérite d'être examinée de près. Son mur extérieur est constitué de gros moëllons de granite. Il repose sur le sol sans fondations et on remarque qu'il n'est pas exactement vertical, mais penche un peu vers l'intérieur. Cette inclinaison volontaire, que les architectes nomment « fruit », a pour but de contrebuter l'énorme poussée exercée par le lourd toit de schiste ardoisier. Derrière une élégante corniche, ornée aujourd'hui d'herbes folles qui poussent sur les fientes laissées là par des générations de pigeons, cette couverture en gradins est formée de 10 couches successives de larges dalles placées en encorbellement et légèrement inclinées vers l'extérieur.



Une unique ouverture donne accès à l'intérieur. On est frappé par la taille inhabituelle ainsi que l'épaisseur des blocs qui l'encadrent et qui tranchent avec celle, bien régulière, des pierres du mur. Manifestement, cette entrée défendait un trésor, à la manière d'une chambre forte. On imagine l'épaisseur de la porte qu'encadrait cette énorme embrasure.



Au-dessus du linteau et d'une corniche décorative, une niche dégradée laisse imaginer l'emplacement des armoiries seigneuriales figurant sur un écusson en pierre sculptée qui a été dérobé il y a quelques années. Ce sont celles de Tanguy de Langalla qui blasonnait losangé d'argent et de sable à la bande divise chargée de quatre hermines de sable. 2



   En pénétrant à l'intérieur du bâtiment, on se rend compte de la complexité de la construction. On ne retrouve pas le mur que l'on voyait à l'extérieur. Il est en effet caché et imbriqué dans un second mur destiné à héberger les couples de pigeons. Un agencement régulier de fines dalles de schiste supportant des pavés rectangulaires leur ménage des centaines de niches appelées boulins, tandis que des corniches débordantes permettent aux oiseaux de se poser et constituent un obstacle aux belettes, fouines, martres et autres petits carnivores susceptibles de grimper jusqu'aux nids. On va voir plus loin que ces corniches avaient encore une autre utilité.
Si l'on glisse la main dans un boulin, on s'aperçoit qu'il donne accès à une petite chambre intérieure profonde d'une quarantaine de centimètres, assez vaste, qui s'étend derrière les pavés séparant les entrées.




Coupe approximative d'une rangée complète de boulins des 3e, 4e et 5e groupes.
Plus près du sol, à cause de l'ouverture de l'entrée et de son linteau, les rangées des 1er et 2e groupes ne sont pas complètes.
Remarquer l'imposante épaisseur du mur extérieur par rapport à l'ensemble de la construction.


  On compte ici 720 boulins répartis en 5 groupes de rangées entre les corniches. Leur nombre n'était pas choisi au hasard : il était obligatoirement lié à la taille du domaine seigneurial. En Bretagne, un arpent de terre ( 50 ares ) donnant droit à un boulin, le domaine de Tanguy de Langalla devait couvrir environ 360 hectares et le Kouldry héberger au maximum 1440 pigeons 3.


Epaisseur moyenne d'une dalle de schiste : 3 cm. Hauteur de l'entrée d''un boulin : 15 cm. Largeur 12 cm.
Longueur de la pierre séparant deux boulins : 38 à 45 cm.


  En levant les yeux on voit comment a été réalisé l'encorbellement de la coupole du colombier qui constitue un défi à la pesanteur. De longues dalles, dont on n'aperçoit que l'extrémité en encorbellement, ont été ajustées couche par couche. Mais si à l'extérieur on en comptait une dizaine, on voit qu'à l'intérieur leur nombre a doublé. La structure du dôme est donc complexe. Chaque couronne supérieure clave par son poids celle placée au-dessous d'elle. Cette technique très ancienne, employée dans certaines dépendances des fermes du Midi, a l'avantage de ne pas nécessiter, lors de sa construction, l'emploi d'une nave provisoire en bois pour soutenir la coupole. Au sommet, celle-ci aboutit à un large oculus par lequel les oiseaux pouvaient s'échapper afin de se nourrir.



Un équipement disparu

  Toutefois, ainsi qu'on peut le voir dans d'autres constructions de ce type, un lanternon en bois, sans doute analogue à celui figuré sur le panneau d'interprétation, couvrait l'oculus pour empêcher la pluie de parvenir à l'intérieur.


Reconstitution supposée du bâtiment et vue en écorché de l'intérieur.
Le système d'échelle ainsi que le lanternon en bois ont disparu.
Conception: Com1nom@de et Jézéquel Publicité 2015


Aujourd'hui totalement vide, le bâtiment devait comporter au moins une échelle permettant d'aller saisir les oiseaux et leurs œufs au gré des besoins.
Examinons le sol de terre battue : il n'est pas plat. Plus élevé au centre qu'auprès du mur de boulins, on y voit des sillons circulaires concentriques. Ce sont les traces des pieds de cette échelle qui sont toujours visibles malgré les siècles. Espacées de 90 cm environ, elles nous font imaginer un équipement de taille imposante pivotant autour d'un axe central.



  On en conclut que le lanternon était fixé à un grand mât central planté dans la terre et pourvu d'une potence pivotante à laquelle l'échelle était fixée. Ce système ingénieux permettait de visiter facilement l'ensemble des nids sans descendre de l'échelle qu'il suffisait de faire avancer en s'appuyant sur les corniches latérales.
Une réserve d'eau devait en outre être disposée au pied du mât pour que les oiseaux puissent boire lorsqu'ils étaient enfermés.
  En effet, les paysans des environs n'aimaient pas beaucoup voir des nuées de pigeons picorer leur récolte. Au moment des semailles, il était courant que l'on enfermât les oiseaux quelques jours. Le lanternon disposait donc de volets que l'on rabattait au moyen d'une longue cordelette afin d'obturer l'oculus.


  On voit que cette construction, qui semblait de loin un peu analogue à un vieux moulin, est beaucoup plus élaborée qu'elle ne paraît. Elle est l'œuvre non pas d'artisans locaux, mais de véritables professionnels mettant leur savoir au service des seigneuries.
Que faire, aujourd'hui, de ces intéressants vestiges qui immanquablement vont tomber en ruines avec le temps ? La plupart des colombiers que l'on peut encore voir servent de dépendance, de soue à cochons ou de réserve de matériel dans des fermes et ne sont pas restaurés. Le mur extérieur de celui-ci se lézarde déjà. Pourtant, on le voit bien, un colombier est un petit prodige d'architecture et un témoin important des coutumes d'un autre temps qu'il serait dommage d'oublier. Et si celui de Lanhalla a judicieusement été mis en valeur, il en est beaucoup d'autres encore qui méritent d'être étudiés et préservés.

...

-1- Il n'est pas impossible non plus que certains pigeons aient été utilisés comme pigeons voyageurs pour transmettre des messages. On sait que cette technique de communication remonte très loin dans l'histoire puisque, dans la Grèce antique, les résultats des Jeux Olympiques étaient transmis au loin de cette façon. Au XVIe siècle, ce moyen de communiquer était donc déjà bien connu.

-2- Pour vous exercer, vous aussi, à blasonner, lisez la page de ce site consacrée au cadran solaire de Plourin.

-3- Ce calcul est très approximatif : l'arpent ( 4221 m2 ) est une mesure de la région parisienne alors que dans l'ouest on utilisait le journal ( environ 5000 m2 ). Puisque 1 boulin correspondait à 1 arpent de terre, il suffisait à l'acquéreur d'un domaine de compter le nombre de boulins du pigeonnier pour connaître sa superficie. Mais le vendeur avait pu faire construire frauduleusement de nouveaux boulins, ou encore vendre une partie du domaine sans modifier le pigeonnier. Et l'acquéreur se faisait ainsi pigeonner. C'est là l'origine de cette expression.
L'arpent et le journal, pas tout à fait équivalents, correspondaient théoriquement à la surface labourée en un jour. Mais labourée comment ? Si l'on utilisait des chevaux, on labourait plus vite qu'avec des bœufs, donc davantage de surface. Et à quelle profondeur ? Dans quelle sorte de terre ? En été quand les jours sont plus longs ou en hiver quand ils sont plus courts ? Et cela ne concerne que les terres labourables. Le domaine seigneurial comprenait aussi des bois, des vergers et des prairies. On voit que ces mesures anciennes étaient vraiment approximatives.



Yannick Loukianoff


***

EN SAVOIR PLUS


190 p, Editions Régionales de l'Ouest 1993

Voir aussi l'article de Louis GUENNEC : « Les colombiers seigneuriaux du Finistère » paru dans le quotidien « La Dépêche de Brest » le 19 janvier 1933. Le journal numérisé est disponible sur internet.

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